Les 20 ans du SILA |
VINGTIÈME ANNIVERSAIRE DU SILA
L’aventure bénéfique
Voilà deux décennies que le Salon International du
Livre d’Alger existe. Les médias, les universitaires,
les étudiants et enseignants, comme le grand
public – représenté notamment par des familles
entières –, apportèrent leur appui manifeste à
l’initiative. On y vit aussi de nombreux visiteurs
venus de tout le pays, lesquels, en quête d’ouvrages
et de rencontres culturelles, voulaient aussi soutenir
le Salon. La première édition fut donc une fête en
l’honneur du livre, du savoir et de la littérature.
Lors des éditions suivantes, le Salon international du
Livre d’Alger réussit à s’imposer comme une tradition
établie, tandis qu’il commençait à faire parler de lui
à l’étranger.
Il faut rappeler ici que l’Algérie n’avait pas connu de
rencontres importantes liées au livre depuis le début
des années quatre-vingt. A cette époque, quelques
Foires du Livre avaient été organisées à Alger,
connaissant des affluences record qui devaient leur
importance aux insuffisances de la distribution
ordinaire des livres. La disposition exceptionnelle
de livres lors de ces foires s’accompagnait en outre du système de subvention mis en place par l’État
dans les années soixante-dix et qui atteignait parfois
jusqu’à 80 % du prix d’un ouvrage, rabais qui demeure
unique au monde. Cette mesure bénéficiait
essentiellement aux livres importés, la production
éditoriale nationale demeurant très faible ou
inadaptée à la demande de lecture. De plus, comme
leur intitulé le justifiait, ces foires se cantonnaient
à la vente massive d’ouvrages et se déroulaient sans
contenu culturel puisqu’elles ne comprenaient aucun
programme d’animation et que la plupart des
exposants étaient des distributeurs ou des revendeurs.
La formule des foires du livre fut éphémère puisque
la crise pétrolière du milieu des années quatre-vingt
mit fin au système de subvention du livre et que les
importations baissèrent de manière drastique.
Aussi, le SILA constitua une nouveauté pour le
lectorat algérien qui n’avait encore jamais connu
de Salon du Livre selon les formes en usage dans le
monde, soit des espaces d’exposition-vente dévolus
aux éditeurs accompagnés de rencontres culturelles
diverses : conférences, séances de dédicaces, tablesrondes,
etc.
Les lecteurs et lectrices d’Algérie pouvaient renouer
avec les publications étrangères et surtout découvrir
une édition nationale émergente qui s’engageait
sur des voies d’expression plus libres et diversifiées.
En effet, tandis que les sociétés publiques d’édition poursuivaient leur activité en lui apportant des
améliorations, les catalogues des nouvelles éditions
privées commençaient à se distinguer par des
publications innovantes.
Cette dynamique encourageante du secteur
éditorial, jointe à l’évolution du contexte national
qui renouait avec la stabilité, contribua à donner
au Salon international du Livre d’Alger un élan qui
s’est maintenu à ce jour. D’une année à l’autre, les
observateurs ont pu constater un accroissement de
la fréquentation populaire comme de la participation
du nombre d’exposants.
L’avènement des années 2000 a particulièrement
marqué cette progression globale. En 2010, lors de la 15e édition, l’installation de portiques électroniques
à compteurs aux entrées du Salon avait permis
d’enregistrer une fréquentation de près de 1.200.000
visiteurs avec des pics quotidiens dépassant parfois
200.000 entrées.
L’année suivante, une première évaluation, établie à
partir des statistiques des Salons du Livre tenus dans
le monde en 2010 (et selon leurs propres sources),
situait le Salon international du Livre d’Alger comme le troisième au monde du point de vue de la
fréquentation. Il arrivait ainsi derrière les salons de
Calcutta (3 millions de visiteurs) et le salon du Caire
(2 millions) et devançait les salons de New-Delhi
(1 million), Hong-Kong (950.000) et Francfort (300.000).
En introduisant un facteur démographique comparatif,
ces données pourraient amener le SILA en première
position. En effet, en 2014, pour sa 19e édition, il a
accueilli plus de 1, 4 million de visiteurs sur une
population totale de 38 millions d’habitants, ce qui
signifie qu’environ un Algérien sur vingt-sept a visité
le Salon. Il est considéré aujourd’hui comme le premier
salon du livre du Monde arabe, de l’Afrique et du
bassin méditerranéen, toujours du point de vue de la
fréquentation.
Cette performance du SILA s’explique par de
nombreux facteurs. Certes, les insuffisances en matière
de distribution du livre, la faiblesse du marché et des
réseaux, jouent un rôle important dans l’afflux de
visiteurs en quête de livres manquants qu’ils peuvent
acquérir auprès des exposants, parfois à moindre prix.
Mais il est certain qu’au delà de ces contingences, des
tendances lourdes agissent sur l’importance et la
diversité des lectorats potentiels.
A l’indépendance du pays, en 1962, on ne comptait
que 15 % d’Algériens alphabétisés. Grâce à la
démocratisation de l’enseignement et aux actions
spécifiques d’alphabétisation en direction des adultes,
ces chiffres se sont complètement inversés. Ainsi en
2014, c’est 86 % de la population qui était alphabétisée.
Pour la dernière rentrée scolaire (2015-2016), on a
recensé plus de 8, 1 millions d’élèves, tous cycles confondus (primaire, moyen, secondaire) dont plus
de 1, 3 millions dans le secondaire, le tout dans près
de 26.000 établissements de l’Éducation nationale,
secteur qui est le premier consommateur de livres
dans le pays avec plus de 55 millions d’ouvrages par
an, de la classe préscolaire à la terminale. La moitié des
élèves bénéficient gratuitement des manuels scolaires.
L’Université, quant à elle, accueille cette année plus
de 360.000 nouveaux étudiants sur un effectif global
de 1, 4 million d’étudiants. Là aussi, la demande
d’ouvrages est considérable, parmi laquelle figure
celle des différents corps enseignants (plus de 400.000
dans l’Education nationale et plus de 50.000 pour
l’Enseignement supérieur, dont près de 15.000 de rang
magistral). A ces demandeurs potentiels s’ajoutent les
cadres du pays, tous secteurs confondus, parmi lesquels
figurent de grands lecteurs, « consommateurs » de
manuels professionnels, d’essais et parfois aussi de
littérature.
L’ensemble de ces données explique en partie la grande
fréquentation du Salon international du Livre d’Alger.
Même si l’on ne dispose pas encore de sondages ou
d’enquêtes détaillées, le public du SILA se distingue
par une grande diversité socioculturelle que l’on a pu
constater de manière empirique au fil des éditions.
Les femmes y sont bien représentées et l’on y retrouve
de nombreuses tranches d’âge, depuis les enfants,
accompagnés dans le cadre des visites en famille,
jusqu’aux personnes âgées. Les jeunes, et notamment
les étudiants, apparaissent comme un contingent
important des visiteurs. Cette diversité semble aussi
importante du point de vue des niveaux d’instruction
et des occupations. Le SILA fait côtoyer par exemple
des artisans en quête de manuels techniques comme
des professeurs de rang magistral demandeurs
d’ouvrages académiques. Il accueille enfin, comme
déjà signalé, de nombreuses personnes issues des
villes de l’intérieur du pays.
La diversité des publics du SILA se répercute sur l’offre
d’ouvrages en exposition-vente. Quasiment tous les
genres éditoriaux y sont présents : les ouvrages de
référence (encyclopédies, dictionnaires, lexiques
spécialisés) ; les essais relatifs à l’histoire, l’économie et
les autres sciences sociales et humaines ; la littérature
dans toutes ses expressions (roman, nouvelle, poésie) ;
les manuels scientifiques et techniques ; le livre
religieux et les essais théologiques ; le livre pour
enfants et juniors ; le parascolaire ; les livres de détente
et loisirs, etc.
La langue arabe et la langue française demeurent
prépondérantes mais on assiste, chaque année,
à une extension linguistique de la demande vers
des ouvrages en anglais, en espagnol, en italien
et quelques autres langues. Quant aux livres en
langue amazighe, deuxième langue nationale, ils
commencent à se multiplier au fur et à mesure des
progrès de l’édition en la matière, reflétant ainsi le
processus de recouvrement de ce patrimoine culturel,
notamment par le biais de son enseignement. Cette diversité linguistique exprime bien l’appétit culturel
des Algériens dont l’attachement à leur histoire et leur
identité s’accompagne d’une ouverture sur le monde,
facilitée désormais par les nouvelles technologies de
communication.
La participation internationale au SILA traduit cette
dimension puisqu’au fil des ans, elle n’a pas cessé de
s’accroître et de diversifier ses origines. L’édition 2011,
la seizième, avait accueilli 521 exposants (dont 376
étrangers et 145 algériens). Ces données ont presque
doublé puisque la 19e édition (2014) avait vu la
participation de 926 exposants (dont 659 étrangers
et 267 nationaux). Le SILA dispose désormais d’une
envergure internationale reconnue avec une
focalisation culturelle sur le Monde arabe et le continent africain. Toujours pour l’année dernière,
on comptait 43 pays présents issus de quatre continents
parmi lesquels 15 pays arabes (sur les 22 de la Ligue
Arabe), 15 pays africains (dont 6 appartenant aussi
au Monde arabe) et 11 pays européens. On notait aussi
l’ouverture sur d’autres régions du monde comme
l’Asie ou les Amériques.
L’essor du Salon international du Livre d’Alger se
manifeste aussi à travers son programme d’animation
culturelle qui s’appuie sur la mise en valeur des
talents littéraires et des compétences nationales et
la découverte d’auteurs et de penseurs du monde
entier. Pendant les dix jours que dure le SILA, c’est
un véritable carrefour des expressions, des idées et
des esthétiques qui s’ouvre à un public passionné
d’échanges et de débats. Déjà riche à ses débuts, le
programme proposé s’est considérablement étoffé
durant les dernières années par la multiplication
des rencontres et la recherche de thèmes nouveaux.
L’an dernier, par exemple, le Salon a été le premier
au monde à réserver une rencontre à l’onomastique
(origine des noms de lieux et de personnes) en
mettant en relief ses incidences sur l’identité
culturelle. Le succès considérable de cette journée
a conduit à la maintenir cette année. De même, depuis
2009, année du deuxième Festival Panafricain d’Alger,
le SILA réserve une place de choix à la création
littéraire et à l’édition du continent. L’espace Esprit
Panaf est devenu ainsi un rendez-vous
particulièrement animé de la manifestation.
Depuis sa création, le SILA accorde une importance
particulière à l’histoire et à la mémoire. Cet intérêt
est partagé par les lectorats qui plébiscitent les essais, récits ou témoignages relatifs au passé de l’Algérie. Le
SILA accompagne ainsi les grandes commémorations
nationales en proposant des conférences et tablesrondes
d’historiens et d’auteurs algériens et étrangers.
Cela s’est vérifié en 2012 pour le Cinquantenaire de
l’Indépendance de l’Algérie, en 2014 pour les soixante
ans du déclenchement de la guerre de libération
nationale (1er novembre 1954) ou encore, cette année,
pour les soixante-dix ans des massacres du 8 mai
1945. Ces moments forts de la mémoire nationale
se traduisent par la mise en valeur des recherches
et publications qui leur sont consacrées.
Le programme d’animation s’attache aussi à
proposer, à travers le monde de l’édition et du
livre, des débats sur les grands enjeux du monde et
l’actualité. Les éditeurs contribuent pour beaucoup
à l’enrichissement du programme en mettant leurs
écrivains et auteurs en contact direct avec leurs
lecteurs et lectrices, soit par les traditionnelles ventesdédicaces,
soit par des rencontres sur leurs stands.
Le partenariat mis en place avec la Cinémathèque
Algérienne en 2013 a donné lieu à un nouvel élément
du programme sous la forme d’un cycle consacré
chaque année à l’adaptation d’oeuvres littéraires à
l’écran. Ce cycle a lieu simultanément au Palais des
Expositions des Pins Maritimes (salle Ali Maachi),
site du SILA, et dans la mythique salle de la rue Larbi
Ben M’hidi, au centre-ville d’Alger. Il se prolonge
ensuite sur l’ensemble des salles de répertoire de la
Cinémathèque Algérienne du pays.
Les performances du SILA en matière de fréquentation
et de participation comme son riche programme
culturel ne font pas perdre de vue la réflexion sur
son évolution future qui s’impose particulièrement
en cette vingtième édition. L’adoption récente de
la Loi sur le livre est appelée, au fur et à mesure de
son application, à modifier le secteur de l’édition.
Les progrès énormes de l’édition numérique et du livre électronique dans le monde concerneront, à
moyen ou long terme, l’Algérie, particulièrement
avec l’ascension des jeunes générations férues de
nouvelles technologies de communication. Le
développement du réseau de lecture publique à
travers la construction de nouvelles bibliothèques
appelle à des nouveaux comportements culturels
qui amèneront sans doute à privilégier l’accès à la
lecture par rapport à l’acquisition personnelle des
ouvrages, mode dominant jusque-là.
Plusieurs facteurs de changement du monde de
l’édition et du livre se profilent ainsi et suscitent la
réflexion sur l’évolution du Salon international du
Livre d’Alger. Comment par exemple le maintenir
dans sa dimension populaire formidable tout en
renforçant sa contribution aux échanges entre
professionnels ? Autant de questions passionnantes qui devront se refléter dans l’organisation future de
cette manifestation institutionnalisée en 2009 par
le ministère de la Culture.
L’introduction cette année, et pour la première
fois, d’une rencontre sur l’édition et le livre
numérique, dans ses réalités et ses perspectives
ainsi que d’une autre sur les rapports entre l’Ecole
et le livre, constituent des illustrations du souci
des organisateurs d’assurer la meilleure qualité
des éditions tout en explorant de nouvelles voies
d’évolution, autant pour le Salon que pour le monde
du livre en Algérie. Etre un carrefour culturel comme
un pôle d’échanges et d’idées avec les lectorats et
les professionnels, telle est l’ambition du Salon
international du Livre d’Alger, cette aventure
bénéfique devenue une tradition culturelle forte
des Algériens et des Algériennes.
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